KARL-HALFDAN SCHILLING : Un converti norvégien – Partie 12

Sources : Les Pères Barnabites de Mouscron

L’apôtre de Mouscron


La voix de l’obéissance appelait le Père Schilling à faire partie de la communauté que les Barnabites, expulsés de France, venaient de fonder à Mouscron (Belgique).

Comment expliquer l’influence du Père Schilling sur la population de cette petite ville frontière, composée en majeure partie de familles ouvrières ? Ici, comme ailleurs, le Père Schilling ne dispose que d’un talent : l’exemple d’une vie sainte, qui diffuse sa lumière et sa chaleur. Il nous semble que le Père Schilling, à Mouscron, fait figure d’un autre curé d’Ars. Il n’en porte ni le masque voltairien, ni l’âme tourmentée. Mais n’y a-t-il pas, dans son regard, quelque chose de la bonhomie souriante et malicieuse de M. Vianney ? Il lui ressemble surtout par sa vie de prière et de pénitence, par son cœur brûlant de zèle pour le salut des âmes, et par ce pouvoir, donné aux saints, de soulager toujours, et souvent de guérir, les misères de l’âme et du corps.

Le Père Schilling n’a même pas, comme son incomparable modèle, la ressource d’une éloquence familière et enflammée. Sauf devant l’auditoire restreint de quelques religieuses, que sa langue défectueuse ne pouvait offusquer, il ne prit jamais la parole en public. Mais toute sa vie fut un enseignement en action.

Il respirait et inspirait la foi par sa manière de prier et de célébrer la sainte Messe. On sentait qu’il communiquait avec Dieu, que son corps seul le retenait à la terre. Quand il levait la sainte Hostie, on eût dit qu’il voyait Jésus lui-même ; un céleste sourire illuminait son visage ; par moments, il semblait en extase.

Plus d’une fois, à sa grande confusion, il fut surpris, à genoux, abîmé dans la prière, le front contre terre, ou bien fixant sur le tabernacle des regards transfigurés d’amour ardent. L’incrédule d’autrefois en vint à ne plus pouvoir se passer de la présence eucharistique. Aussi longtemps que ses supérieurs le lui permirent, il s’installa à demeure dans le chœur des religieux, derrière le maître-autel, non seulement pour adorer et méditer, mais pour vaquer à l’étude et faire sa correspondance.

Sa vie pauvre et mortifiée ne pouvait passer totalement inaperçue, en dépit de pieux et naïfs stratagèmes qu’il employait pour la dérober aux yeux indiscrets. On écrirait un livre rien qu’avec le récit des mortifications qu’il imposait à son corps : privations dans le manger et le boire, refus de tout confort, cilices, flagellations, coucher sur la dure, et nombre d’inventions crucifiantes, dignes des Pères du Désert. Ceux qui visiteront sa chambre, reconstituée avec le mobilier et les instruments de pénitence qui furent à son usage, ne manqueront pas de dire, comme d’autres qui purent y jeter un coup d’œil du vivant du Serviteur de Dieu : « Nous avons vu la chambre d’un saint. »

Apôtre par l’exemple muet de sa vie contemplative et pénitente, le Père Schilling le fut d’une manière plus directe encore par son ministère sacerdotal. Il nous faut relever en particulier, son action sur les âmes au Tribunal de la Pénitence. Pour le Père Schilling, le confessionnal fut sa chaire de vérité. On pouvait l’y trouver à toute heure, toujours accueillant, écoutant avec une inlassable patience les aveux et les peines intérieures, laissant parler son cœur rempli de la science de l’amour du Christ, donnant, avec le pardon des péchés, des conseils et directives profitables, assaisonnant d’une charité exquise les remontrances et exigences nécessaires. « Oui, écrit un de ses pénitents, ses lèvres avaient un accent de foi, d’amour divin que je n’ai jamais rencontré nulle part … Je ne suis jamais sorti de son confessionnal sans être profondément remué, sans me sentir au cœur un désir toujours plus vif de monter toujours plus haut. »

L’humble religieux devint le confesseur le plus couru de la région : « De près et de loin, toutes les âmes visitées par des inquiétudes, le scrupule, les angoisses morales ou le désir de mener une vie plus parfaite, s’adressaient à lui. Il devint le confesseur habituel de plusieurs institutions … Le clergé des alentours, surtout, aimait à s’adresser à lui. Fréquemment les prêtres accouraient du fond du diocèse, attirés par le renom de sa sainteté. »

Le Père Schilling recevait aussi d’innombrables visites au parloir. Sa réputation de saint et de thaumaturge s’était répandue jusqu’au-delà de la frontière, dans les agglomérations du Nord de la France. Comme son nom était plus facile à écorcher qu’à retenir, les visiteurs réclamaient « le saint père », « le long saint », « le saint de Mouscron ». Il y avait bien quelque superstition dans les démarches de certaines personnes, dont l’instruction religieuse était nulle ou rudimentaire. Le Père ne se vexait pas d’être parfois pris pour un sorcier, capable, par une simple bénédiction, de « défaire les sorts », de procurer la chance dans les affaires, de guérir des maux mystérieux, de faire retrouver les objets perdus, etc. Le saint homme écoutait chacun avec une patiente et bienveillante attention. Ces consultations lui permettaient de redresser les mentalités faussées, d’orienter la crédulité naïve vers une foi vraie et sincère. Il ne renvoyait personne sans consolation. A tous, il promettait le secours de ses prières. Très souvent, son intercession se révélait efficace, et les braves gens revenaient remercier le « long père ».

Son ministère auprès des malades et des mourants était particulièrement apprécié. Le Père Schilling avait le don de consoler les affligés et d’assister les mourants. On pourrait apporter une foule de témoignages relatant des guérisons et des conversions in extremis.

Ainsi, pendant vingt ans, le Père Schilling se consacre tout entier au soulagement physique et moral de la population Mouscronnoise. S’il a quelque préférence, c’est pour les enfants et les pauvres. « Les infortunés le bénissent parce qu’il les aime ; les enfants lui sourient parce qu’il a séché les pleurs de leur mère ; les indifférents le saluent parce qu’ils savent que tous les jours il côtoie la souffrance les adversaires même de la religion se découvrent respectueusement sur son passage parce qu’il porte dans son regard le reflet des misères qu’il a guéries. » (A. Schmerber)